Attention: Les modalités du dépistage du cancer du sein discutées sur cette page ne concernent que les femmes asymptomatiques à risque moyen. Les modalités du dépistage chez les femmes asymptomatiques à risque élevé sont discutées sur la page «cancer du sein et hérédité».
Une tumeur maligne du sein peut être considérée comme une prolifération incontrôlée de cellules qui peut envahir le tissu sain situé en son voisinage. Cette masse proliférative a aussi le potentiel de s'étendre à d'autres organes du corps comme le foie ou les os et de provoquer ainsi le décès.
Le délai entre l'apparition de cellules cancéreuses dans le sein et celui de métastases n'est pas instantané. En général la métastatisation n'apparaît que lorsque la tumeur a atteint une certaine taille. Donc, plus la taille d'une tumeur est petite, plus la probabilité d'une dissémination est faible et plus les chances de guérison sont grandes.
La détection d'une tumeur du sein par la palpation est difficile. Naturellement, plus une tumeur du sein est grande, plus elle est facilement découverte par la palpation. A l'inverse, la palpation ne permet généralement pas de repérer les tumeurs de petites tailles. On voit donc aisément l'intérêt de disposer d'un examen permettant de déceler des tumeurs du sein non palpables.
Lorsqu'une masse est palpée dans le sein ou découverte lors d'un examen radiologique, le diagnostic définitif de cancer du sein ne peut être posé que par l'examen microscopique du tissu de la lésion mammaire. En principe, aucune décision thérapeutique n'est prise sans ce diagnostic histologique (anatomo-pathologique).
La présence de microcalcifications tumorales, d'une masse, d'une désorganisation de l'architecture du sein peuvent être mises en évidence par la mammographie. Si de tels signes parlent pour la présence d'une tumeur, le résultat radiologique n'est pas le reflet d'une visualisation directe des cellules cancéreuses de la lésion. Le rapport radiologique ne correspond donc qu'à une « hypothèse radiologique» et doit être corroboré avec l'examen microscopique de la lésion mammaire.
Intuitivement, on pourrait penser qu'un dépistage du cancer du sein pourrait être organisé avec n'importe quel examen permettant de découvrir ce cancer du sein. Mais est-ce bien vrai?
Il existe une déviation dans l'utilisation d'un examen radiologique comme outil de dépistage. Les examens radiologiques ont été créés avant tout pour détecter une maladie chez des personnes symptomatiques (c'est-à-dire soupçonnées d'avoir la maladie recherchée). Par contre, le dépistage s'effectue chez des personnes saines. Cette différence dans les sujets étudiés (patients symptomatiques versus personnes saines) introduit un «biais» dans le calcul des performances d'un test (généralement une surestimation).
Dés lors tout emploi d'un examen radiologique dans une situation de dépistage de masse nécessite une nouvelle évaluation de ses performances dans une population asymptomatique.
L'efficacité d'un dépistage dépend du comportement biologique du cancer et ce concept sera détaillé ci-dessous.
Le dépistage de masse s'adresse à des personnes saines, exemptes de la maladie. Il serait donc fâcheux que l'interprétation de l'examen de dépistage conduise à des décisions erronées et soit source de complications, d'événements indésirables.
Trivialement, un outil de dépistage doit non seulement être d'un coût acceptable pour la société, mais doit aussi apporter un certain bénéfice.
En résumée, quand bien même la mammographie est utilisée dans le diagnostic de cancer du sein depuis longtemps, son emploi comme outil de dépistage de masse nécessite une nouvelle évaluation du point de vue de ses performances, ses risques et son bénéfice.
Quelques points particuliers sont examinés plus en détail ci-dessous.
Il n'est pas toujours facile de déceler la présence d'une tumeur du sein sur une mammographie.
Le parenchyme mammaire peut être dense et il peut masquer la présence d'une tumeur. Chez les femmes jeunes, le parenchyme mammaire est très souvent dense de sorte que l'examen sénologique est constitué uniquement ou comprend au moins un examen échographique.
L'intégralité du sein peut ne pas être visible sur les clichés de mammographie (sein pas tiré suffisamment) et la tumeur située postérieurement est manquée.
La qualité des clichés peut ne pas être adéquate en raison de la technique (compression du sein insuffisante, bougé, paramètres inappropriées) et la tumeur n'est pas visible.
Que l'on se rassure! Ces situations sont plutôt théoriques. Les techniciens/manipulateurs ont reçu une formation spéciale "dépistage"; La qualité des clichés et les mammographes est contrôlée selon des protocoles et un calendrier rigoureux.
Lorsque la mammographie est déclarée comme «normale» alors qu'il existe une tumeur, le résultat est compté comme faux-négatif.
Il peut être difficile de décider si des microcalcifications sont d'aspect tumoral ou non. Il peut être malaisé de conclure sur la présence ou l'absence d'une lésion tumorale. Selon le type de problème, on peut décider de compléter le bilan par d'autres examens radiologiques. Bien évidemment, ces nouvelles investigations ont des coûts. Elles sont aussi sources d'anxiété pour les patientes. Dans un pourcentage non négligeable de cas, les investigations se terminent par un geste qui n'est pas si agréable que cela, la biopsie.
Lorsque la mammographie est déclarée «suspicieuse» alors qu'en réalité il n'existe pas de tumeur, le résultat est compté comme faux-positif.
Dés lors, il y a nécessité d'étudier, dans une population asymptomatique, un examen de dépistage selon:
• ses performances (faux-positifs, faux-négatifs, variabilité d'interprétation entre radiologues, etc.);
• la nécessité d'effectuer des biopsies ou d'autres examens radiologiques (taux, coûts additionnels, morbidité induite, etc.).
Un examen de dépistage idéal aura donc très peu de faux-positifs ou de faux-négatifs, ne nécessitera que peu d'investigations supplémentaires et n'entraînera pas d'effets indésirables
Dans l'évolution d'une maladie, il peut exister un point (appelé point critique) après lequel il n'y a plus de traitement efficace. Par exemple, un point critique pourrait être constitué par l'apparition de métastases pour un cancer donné. Dans une telle situation, il n'y aurait aucun bénéfice à attendre d'un dépistage de ce cancer si celui-ci se généralisait peu après son apparition.
L'utilité d'un dépistage dépend aussi du comportement biologique du cancer. L'intérêt d'un dépistage d'un cancer donné serait limité si son comportement était «indolent» c'est-à-dire qu'en fait les patients décéderaient de causes non reliées au cancer.
Le bénéfice d'un dépistage pourrait être remis en cause lorsqu'un cancer ne progresserait pas ou régresserait naturellement dans un grand pourcentage de cas. Une telle discussion n'est pas que théorique et de tels exemples sont discutés: il existe une incertitude sur l'évolution de certains cancers in situ; il existe des cancers comme le cancer de la prostate dont le comportement n'est pas toujours prévisible.
Note: La dernière polémique crée par Gøtzche et ses collègues (BJM 2009) trouve son essence dans le surdiagnostic et le surtraitement. Tous les cancers «in situ», «minimalement invasifs », etc. ne vont pas forcément se développer en cancers invasifs à potentiel métastatique. Malheureusement, la médecine n'a pas d'outil permettant de différencier les tumeurs qui vont acquérir un potentiel métastatique de celles qui ne l'auront jamais. Par conséquent toutes ces tumeurs sont étiquetées de la même façon: c'est le «surdiagnostic». Toutes ces tumeurs sont traitées de la même façon: c'est le «surtraitement». L'importance de ce phénomène est difficilement quantifiable et c'est là tout le problème. Les estimations de Gotzche s'appuient sur des modèles statistiques qui ne sont pas forcément bien-fondés. On attend donc de lire les commentaires / réponses / l'analyse des épidémiologistes à cet article. On trouvera plus de détails sur les carcinomes canalaires in situ sur la page «pathologies mammaires».
Au total, le dépistage du cancer du sein ne trouve son utilité que s'il permet de traiter plus efficacement ou de guérir des cancers du sein sans porter atteinte aux personnes dépistées.
La justification d'un dépistage du cancer du sein s'est généralement effectuée par la démonstration d'une réduction de la mortalité par cancer du sein dans une population soumis au dépistage par rapport à une population non suivie.
Cette démonstration a nécessité la mise en place de protocoles rigoureux vérifiant:
• L'absence de biais dans la sélection des femmes des groupes étudiées.
• L'enrôlement d'un nombre suffisant d'individus pour s'assurer de la validité des résultats obtenus.
• L'uniformisation des techniques de réalisation et de lecture des clichés radiologiques.
• Le bon déroulement du recueil des données ou du suivi des patients
• une analyse correcte des données relativement à la problématique du dépistage.
Toutes ces études ont été examinées par différents groupes d'experts qui ont abouti à la conclusion suivante:
«L'organisation d'un dépistage du cancer du sein par la mammographie chez les femmes âgées de 50 à 69 ans permet une réduction de la mortalité par cancer du sein (entre 25 et 35% selon les estimations).»
• L'âge auquel débute le dépistage du cancer du sein varie selon les pays. Des différences dans l'interprétation des données statistiques et des considérations économiques locales expliquent ces variations. Aux Etats-Unis, le dépistage débute généralement à 40 ans; En Australie, le dépistage débute à 50 ans, mais, les femmes âgées entre 40 et 49 ans peuvent accéder au programme de dépistage si elle le désire et après information; En Nouvelle-Zélande, le dépistage commence à 45 ans; En Europe, il commence généralement à 50 ans.
Les principales objections avancées par les adversaires d'un dépistage entre 40 et 49 ans sont: un parenchyme mammaire trop dense réduisant les performances de la mammographie; un bénéfice incertain pour la communauté.
Bien évidemment, la stratification en classe d'âge pose inévitablement le problème des effets de seuil, d'autant plus que la limite fixée, l'atteinte de la cinquantaine, parait un peu arbitraire. La probabilité d'avoir un parenchyme mammaire dense gênant l'interprétation diminue avec l'âge et la limite des 50 ans est un peu artificielle: on peut trouver des seins d'aspects graisseux largement avant 50 ans; on peut trouver des seins denses après 50 ans, auxquels cas on peut s'aider de l'échographie. Si l'absence de participation à un dépistage mammographique constitue une source d'inquiétude, rien n'interdit d'aller en discuter avec son médecin-traitant.
• L'âge auquel se termine le dépistage du cancer du sein varie également selon les pays. L'insuffisance des données statistiques et des considérations économiques locales expliquent ces variations locales. En Australie, le dépistage se termine à 70 ans, mais, les femmes plus âgées peuvent accéder au programme après entretien avec leurs médecins-traitants. En Nouvelle-Zélande, le dépistage se termine à 70 ans; En Europe, il prend fin à l'âge de 70 ans. Même en Europe, il existe quelques différences subtiles: en Angleterre, le programme s'arrête à 70 ans, mais les femmes plus âgées peuvent accéder à un examen mammographique tous les 3 ans.
La principale objection avancée par les adversaires d'un dépistage après 70 ans est le bénéfice incertain relié à l'importante présence de maladies chroniques dans cette classe d'âge. Là encore, si l'absence de participation à un dépistage mammographique constitue une source d'inquiétude, rien n'interdit d'aller en discuter avec son médecin-traitant.
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